Jean-Christophe Nourisson

   

Bio

Installation


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Art public

Textes

2001 Les abstractions architecturales de JC Nourisson. Texte Sylvie Coëllier. (Translate)

2001 Correspondances. Texte de Christophe le Gac. (Translate)

2004 L'événement et la pensée. Texte de Christophe Kihm.

2010 Perception et corps en mouvement. Texte de Catherine Grout.

2010 Des signes urbains non autoritaires. Texte de Christian Ruby.

2010 Hors Champ. Texte de Cécile Meinardi.


2017 Nomologie. Propos sur les dispositifs urbains de JC Nourisson. Texte de Christian Leclerc.

2021 L'incomplétude des choses. Texte de Jean Louis Poitevin.


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Correspondances

Donc, je pensais plutôt à l'université de Princeton pendant les années trente et un peu après. Plus particulièrement à un mathématicien et économiste nommé John Nash. Nash s'est intéressé à la théorie du jeu, avec d'autres chercheurs qui travaillaient sous la direction de von Neumann. Tout ce contexte à Princeton est célèbre parce que Einstein et von Neumann passaient beaucoup de temps à simplement regarder jouer les étudiants. Comme les autres, Nash avait l'habitude de jouer souvent. Tous les jours, ils se réunissaient dans leur salle commune. Mais Nash inventa son propre jeu, et naturellement le jeu fut nommé Nash. Nash est un peu comme le jeu de Go chinois. Il fournit de l'information pure, avec un simple tableau comprenant une série d'hexagones et de jetons noirs et blancs. Quand vous jouez, vous devez tenter de tirer une ligne d'un côté à l'autre du tableau, avec tous vos jetons, noirs ou blancs, selon la couleur avec laquelle vous avez commencé. Le point crucial de Nash est que la première personne à jouer est potentiellement gagnante. Pourtant, même avec une information pure et en tenant compte du fait que le premier à jouer sait qu'il a plus de chances de triompher, il est presque impossible de prévoir quelle sera réellement l'issue. Vous ne pouvez jamais spéculer sur le résultat avec certitude, car à tout moment trop de choses sont en jeu. On peut alors dire qu'il y a trop d'information pure.” 1Liam Gillick, 2000.

Sur les bords indique une position limite, une position inconfortable. Nous ne pouvons rester tranquilles face aux œuvres de Jean-Christophe Nourisson. La contemplation n'est plus de mise, ne va plus de soi. Le simple rapport de délectation visuelle face aux œuvres nous procure  un sentiment de vide. Bien sûr les couleurs, les formes, les figures, les volumes attirent l'œil mais pour autre chose qu'un “trip” visuel. L'intellect est sollicité !

Le spectateur face à l'œuvre ou comment éviter la simple contemplation.

Nourisson instaure une épreuve, une épreuve de force intellectuelle et physique, au spectateur lorsque celui-ci déambule dans ses environnements ou ses installations. (les pictogrammes) et “fonctionnalistes” (les meubles : table, bancs…) sont autant d'objets au contact du réel, de la réalité du lieu, du contexte. Ces derniers fixent eux-mêmes les limites. Ils englobent la totalité du lieu et s'en échappent.
Cette attitude n'est pas nouvelle, mais fait suite, comme un écho, aux avant-gardes du début du siècle et rejoue leur interrogation première : les rapports entre l'art et le réel, dans une vision d'art total 2. A ce questionnement du réel où la qualité de chaque élément constitutif de l'espace d'exposition est à envisager comme un prolongement de l'espace public, Nourisson convoque le spectateur pour en rendre compte. La mise en place d’objets (meubles…) réinterroge les notions d'espace d'exposition en jouant sur les rôles donnés aux spectateurs, à l'espace et à l'artiste. Nourisson répartit de façon fragmentée un ensemble d’objets (mobilier urbain et/ou domestique) qui occupe la totalité du lieu par un jeu de renvois visuels suggérés. L'œuvre se réalise autant par les différents objets que par leur mise à plat.
Mais un travail est à faire. Le spectateur doit prendre conscience de son état et c'est à lui de combler les manques pour comprendre ce qui est en jeu. “Là où, en particulier, le spectateur moderne enfreignait encore l'ordre de la conversation, le voilà engagé dans un tissu complexe dans lequel le rapport à l'œuvre - devenue, de façon hégémonique, une proposition polysémique, à discuter - est aussi essentiel que le rapport à l'autre ou ce que j'appelle " la pulsion d'échange " 3. Non seulement la position physique du spectateur dans l'espace d'exposition agit sur cette compréhension mais aussi sur le point de vue qui en découle. La conjonction entre son statut d'acteur (il donne vie à l'ensemble) et son statut de regardeur (il permet sa compréhension et libère son potentiel d'interprétation) lui offre la possibilité d'être juge, d'en “être” ou de s'en exclure en toute connaissance de cause.

Le spectateur dialectise 4.

Le spectateur dialectise son rapport à l'environnement présent. L'œuvre est à ce titre l'élément seuil, l'interface entre l'environnement et le spectateur/regardeur. Elle l'oblige à prendre conscience du monde, du poids de la société, de “se confronter au réel”. Mais pas de n'importe quelle façon !
Nourisson met en jeu, pour déclencher le processus de réflexion, tout un système qui appelle aux relations entre espace physique et espace mental. Il met “au banc d'essai” certains aspects de la modernité (fonctionnalisme apparent des bancs et de la table) et de la postmodernité (photogrammes appelés Résidus). Nous y reviendrons.
Pour l'heure, continuons sur la place prépondérante qu’occupe le spectateur dans la lecture de l'œuvre de Nourisson. L’évocation de l’exposition Environnements, Situations, Spaces qui s'est déroulée à New York en 1961 et qui regroupait des œuvres de George Brecht, Jim Dine, Claes Oldenburg… est incontournable. L'énoncé était clair : “L'exposition est unique car c'est la première exposition de groupe faite par des artistes qui travaillent la totalité de l'espace physique en créant des environnements qui demandent la pleine et active participation du regardeur.” On aura saisi l'importance des références aux expositions Quand les attitudes deviennent formes (de Szeemann en 1969) et L’aigle de l’oligocène à nos jours (de Broothaers en 1972) transfigurées en sujet pour les photogrammes de Nourisson. Loin d'être amnésique et à la suite de ses illustres aînés, Nourisson poursuit cette mission de désacralisation de l'art, de l'acte artistique afin d'impliquer davantage le spectateur.
Une fois de plus, pourraît-on dire ! Car si encore aujourd'hui, et malgré l'arrivée en masse des soi-disant “machines participatives” (les micro-ordinateurs, cdrom, dvd…) et l'apparition de la théorie de l'esthétique relationnelle en art, rares sont les exemples où le spectateur devient actant 5. Nourisson ne s'intéresse pas tant à le faire simplement “gigoter” mais à lui offrir un cadre physique propice pour réfléchir sur son sort et à sa relation avec l'architecture qui l'entoure.
Le spectateur est confronté à un espace architectural (le lieu d'exposition, le centre d'art, le white cube comme caisse de résonance) et à un ensemble d'objets dit fonctionnels avec, à priori, un certain usage, mais dont les fonctions initiales auraient été retirées ; ou la présence d'une table en bois, d'un diamètre de trois mètres, recouverte en son centre par une dizaine de lampes type “architecte” ; mais qui n'assure plus sa fonction de table, car ses pieds sont à une hauteur impraticable (mi-cuisse) et son emplacement dans le sens de la pente lui retire toute stabilité.
Cette configuration oblige le “regardeur” à en appeler à son surmoi (Freud), à sa conscience : son espace mental. Mais il doit d'abord prendre conscience qu'un contexte, qu'un ensemble de conditions doivent être réunis pour qu'il puisse accéder au sens. “Le spectateur établit le contact de l'œuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et en interprétant ses qualifications profondes et par là ajoute sa propre contribution au processus créatif.” 6 Ces conditions sont donc la rencontre entre un regard et un lieu via un jugement : une remise en question de ses valeurs.
Après les Avant-gardes des années vingt (de l'objet à l'espace), l'art minimal et conceptuel (de l'espace et de l'objet au spectateur comme révélateur), Nourisson ajoute sa pierre à l'édifice. Avec ses moyens formels (mobiliers, photogrammes…) et sa manière de questionner la place du spectateur (son rôle) dans le processus artistique (par un jeu de renvois au mouvement moderne et postmoderne, un dé-fonctionnalisme et une dé-sublimation des uns et des autres), il poursuit un inlassable et intarissable travail sur la réception de l'œuvre dans l’espace d’exposition. A Nourisson de dire que “l'espace d'exposition c'est d'abord ce qui conditionne la réception. Il y a donc un premier point qui est vraiment physique, ensuite l'espace d'exposition fabrique à lui seul de la signification. L'œuvre et le lieu sont toujours perçus de façon simultanée, l'un et l'autre sont liés de façon profonde (…). L'espace d'exposition m'intéresse dès lors qu'une situation peut y être proposée, c'est un lieu public où s'échangent de la parole et des regards.” 7  Et de rajouter : “J'ai depuis longtemps fait la critique de l'autonomie, c'est la situation entre l'œuvre, le lieu, le temps et le spectateur qui m'intéresse. J'aime les contraintes et les difficultés m'obligeant à ajuster mon propos en fonction d'une situation de construction vivante.” 8

Les Résidus : Une critique de la modernité du point de vue de sa postmodernité, et inversement.

Nous pouvons interpréter cette démarche sous l'angle d'une interrogation de notre époque qui navigue entre modernité et postmodernité. Amateur du début du siècle et de la modernité architecturale, de son influence sur les artistes de l'époque, Nourisson sait qu'il ne peut rejouer la modernité, conscient que la postmodernité est passée par là, imposant ses signes au détriment de sa force de représentation. Les Résidus en seraient les miettes. Miettes d'une modernité passées par le filtre de la postmodernité.
A l'image de la ville moderne transformée en mégalopole postmoderne, nous pouvons observer un phénomène identique avec l'image (au sens large du terme : image photographique, cinématographique, numérique, sociale…). Un glissement sémantique (comme langage qui fait sens) et sémiologique (comme fonction symbolique) du statut de l'image s'est opéré depuis l'apparition de sa reproductibilité (sa modernité) jusqu'à son épuisement en signaux digitaux (sa postmodernité). D'un statut de symbole (figurer l'abstrait), elle est passée à un statut de représentation (figurer le concret) puis à un statut de signe (figurer les contours, la surface du concret). 9
Les Résidus incarnent ce phénomène.
Les Résidus sont une suite de séries de photogrammes thématiques. De la guitare de Picasso à l'architecture contemporaine de Rotterdam, Nourisson passe en revue toutes les grandes figures de la modernité artistique et architecturale du vingtième siècle. Au credac, une des séries exposées “épuise” quelques-unes des grandes expositions du siècle dernier (la première messe Dada de 1920, Senza titolo - Dodici Cavalli Vivi de Jannis Kounellis en 1969…).
Le procédé employé pour aboutir au photogramme - une image composée de la seule silhouette du sujet représenté et d'un pourtour rouge vif - décompose, consomme l'image de départ : une photocopie d'une reproduction d'une photographie de l'exposition choisie ! Cette manipulation de départ se trouve renforcée par l'assèchement visuel lié à la technique du photogramme, seules des ombres approvisionnent l'image.

Dans About Love Tokyo (film de Mitsuo Yanagimachi, 1994), l’action se déroule dans les endroits emblématiques de ce qui, aujourd’hui, compose la ville contemporaine ; elle navigue entre les restes de la modernité et la déconstruction postmoderne du tissu urbain, où l’individu surfe sur les vagues d’asphalte entre coraux de béton et courants d’automobiles. “Comme deux silhouettes fragiles, les deux personnages déambulent dans le paysage déshumanisé des zones suburbaines de la cité japonaise, théâtre surplombé de gigantesques bretelles d’autoroutes, petites silhouettes figuratives dans un espace abstrait. Ces plans résonnent comme l’alliance de l’humain et d’un cauchemar constructiviste.”10 A l'image de ce film les Résidus expriment cette perte d'inscription.
Alors nous sommes tentés de nous poser cette question : que puis-je faire pour survivre tout en conservant mon intégrité ?
Chez Nourisson, il semble que le recours à l'épuisement des images (médiatiques), par des procédés “modernes” et “postmodernes” qui les fabriquent, serait un des moyens à disposition, pour dépasser toute forme d'aliénation.

 Christophe Le Gac

 

1 Liam Gillick, “Nash”, extrait, art press, spécial “Oublier l'exposition”, n°21, 2000.
2 Il faut préciser que cette idée d'art total recoupe deux visions. D'une part, la vision allemande
initiée par Wagner : un projet global dirigé de façon démiurgique. L'ensemble des savoir-faire est sollicité pour la cause commune, toutes les forces singulières sont diluées dans le projet collectif. D'autre part, la vision française où l'autonomie de chaque discipline doit être respectée. C'est  une accumulation de compétences qui fait œuvre totale : le projet collectif est un conglomérat, non pas un effacement individuel au profit du groupe, mais l'inverse.
3 Christian Ruby, “Le spectateur saisi par l'échange”, parpaings, n°26, octobre 2001, Editions
Jean-Michel Place.
4 La dialectique est, chez Hegel, une loi qui est au fondement de l'essence de la pensée et de la
réalité. Rien n'est absolument séparé, isolé de ce qui l'est a priori (modernité/post modernité, œuvre/spectateur, par exemple).
5 Il est important de faire la distinction entre le terme d'actant et d'acteur (pris dans son sens de
comédien). Ici, la différence se situe dans les actes. Le spectateur ne doit pas jouer la comédie. On ne lui demande pas de prendre des objets, de peindre ou de faire de la cuisine. On lui demande de participer à sa réalisation, d'être conscient de son état.
6 Marcel Duchamp, Duchamp du signe, Collection Champs, Editions Flammarion, 1999, Paris.
7 et 8 extraits de l'entretien entre Valérie Pugin et Jean-Christophe Nourisson, in catalogue de
 l'exposition Figures de circonstance, Théâtre Comédia, Aubagne, janvier 1997.
9  Jacques Aumont, L'image, Editions Nathan, 1990,Paris.
10 Extrait du synopsis.